Le frigo solidaire, kézako ?
Le vendredi 11 mai dernier se tenait la soirée de lancement du Frigo solidaire au Graffalgar à Strasbourg. Nous avons eu l’occasion de rencontrer Dounia Metboul, créatrice du concept des Frigos solidaires, une initiative destinée à apporter un soutien alimentaire aux plus démunis. Elle a accepté de répondre a quelques-unes de nos nombreuses questions à propos de la mise en place de ce frigidaire…

SB : Bonjour Dounia, peux-tu nous en dire plus sur ce concept de frigo solidaire ?
Dounia : C’est tout simple : on met des frigos à disposition chez des commerçants, en extérieur de préférence, pour lutter contre le gaspillage, aider les plus démunis et avant tout améliorer l’espace public, créer des communautés autour d’un même projet. Tout le monde peut venir se servir : les sans domicile fixe, les personnes sans emploi qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts, les retraités sans pension, les familles nombreuses, les étudiants qui n’ont pas de revenus, les réfugiés étrangers, c’est ouvert à toutes les personnes qui sont dans le besoin !
SB : Est-ce que que tu peux nous raconter comment t’es venue l’idée de créer ce Frigo solidaire ?
Dounia : J’ai vécu à Londres pendant un moment et j’ai eu l’occasion de découvrir le “People’s Fridge Brixton”: un frigo où chacun peut déposer des surplus de nourriture pour les gens dans le besoin. Puis, comme il n’y a jamais de hasard, en rentrant en France je suis tombée sur un article qui parle d’un frigo solidaire à Berlin. À cette époque j’ouvrais tout juste le restaurant “La Cantine du 18e” avec ma maman à Paris, un lieu composé de trois pôles : restauration, événementiel et associatif. On organise régulièrement des “charity shop” et des conférences/débats avec la Maison des associations et la mairie du 18e.
Il nous a paru logique de créer un Frigo solidaire pour étendre notre engagement associatif et humain auprès des habitants du quartier. On l’a mis en place en juin 2017, puis j’ai rapidement été démarchée par “Identités Mutuelle”, anciennement la mutuelle de mon grand- père qui était mineur auparavant. Ce n’était pas un signe du hasard ! Ils nous ont proposé de lancer une campagne de communication à visée nationale pour porter le projet dans toute la France. C’est à ce moment-là qu’on a créé l’association et aujourd’hui on compte déjà treize frigos solidaires !
SB : La mise à disposition de telles infrastructures en libre accès soulève nécessairement des questions… N’avez-vous pas de crainte concernant le vandalisme, le vol ou même l’abus de certains consommateurs ?
Dounia : Jusqu’à présent, il n’y a eu aucun vandalisme ! Les gens sont extrêmement enthousiastes quant au projet, ils se mobilisent et agissent selon leurs moyens, dans le respect des frigos et de leurs usagers. Déposer des aliments dans un frigo a un impact beaucoup plus considérable qu’un simple don à une association.
Cela permet d’avoir un impact direct auprès d’une communauté… Les donneurs se sentent davantage concernés et engagés. Notre frigo parisien est en libre-service nuit et jour depuis 4 mois, et il n’y a eu aucune dégradation, aucun problème. Certaines denrées sont même déposées pendant la nuit !



Frigo solidaire à Strasbourg !
Après douze frigos installés dans plusieurs villes françaises comme Grenoble, Paris ou encore Lille, le treizième est chez nous à Strasbourg ! Est-ce que ce sera un chiffre porte-bonheur ?
Afin de recueillir plus d’informations sur cette nouvelle initiative, nous sommes allés au Graffalgar pour rencontrer Vincent Faller, gérant de l’hôtel, et Séverin, un des porteurs du projet Frigo solidaire à Strasbourg. Pour ceux qui ne connaissent pas le Graffalgar, on rappelle que c’est un hôtel arty aux abords de la gare qui a été entièrement décoré par des artistes majoritairement locaux. L’idée était d’en faire un lieu vivant et original. Au rez-de-chaussée, Vincent a créé un espace ouvert à tous où l’on peut venir prendre l’apéro en soirée, déjeuner le midi, bruncher le week-end ou tout simplement bosser en journée.
On souligne un premier engagement artistique au sein de l’hôtel, mais pas que. Quelque temps avant d’installer le Frigo solidaire, Vincent avait installé, à l’intérieur de l’hôtel, un Caddie où les gens pouvaient déposer des denrées alimentaires. En parallèle, très impliqué dans le commerce de proximité, l’hôtel s’est équipé du Stück (la monnaie citoyenne strasbourgeoise) et a ouvert le rez-de-chaussée à des associations et à des projets qui débutent pour donner l’occasion à tout un chacun d’avoir un espace d’expression.
De fil en aiguille, quand Séverin a débarqué avec le concept du Frigo solidaire, Vincent a directement adhéré au projet (et l’a même embauché dans la foulée) ! “Monter le projet n’a pas été une mince affaire” : Séverin nous explique que réaliser le projet n’a pas été de tout repos. Entre la disponibilité des gens, la recherche du lieu, du quartier ou encore la mobilisation des fonds nécessaires à l’achat du frigo, il y avait un boulot monstre ! Et ça n’est jamais évident quand il n’y a pas d’intérêt pécuniaire…
Or, un petit noyau soudé de quatre personnes s’est formé et a réussi à mener le projet à bout. C’est quand Séverin et ses amis ont eu l’accord du Graffalgar que tout s’est accéléré. Le projet est passé d’une idée à sa concrétisation. Retour sur la genèse du projet avec Séverin et Vincent.
SB : Comment avez-vous ciblé ce lieu ?
Séverin : On ne savait pas trop où mettre en place ce frigo solidaire, mais on a décidé de cibler le quartier de la gare. C’est en allant boire un café au Graffalgar que l’on a vu cette alcôve à l’extérieur et réalisé que c’était l’endroit parfait pour poser le frigo. On a rencontré Vincent dans la foulée, qui nous a confirmé que ce renfoncement appartenait à l’hôtel, on lui a exposé le projet et il a immédiatement exprimé sa motivation !
SB : En quoi est-ce plus facile d’être ici qu’en plein centre-ville ?
Séverin : En réalité, c’est très compliqué d’installer un frigo (où quoi que ce soit d’ailleurs) sur l’espace public, comme un trottoir par exemple. Dounia a pu le faire à Paris parce qu’elle l’a rajouté sur sa terrasse. Mais les gérants d’établissements strasbourgeois nous ont expliqué qu’il aurait fallu faire des demandes auprès de la ville pour louer un emplacement supplémentaire.
De plus, les réglementations sont très strictes en ce qui concerne les façades des restaurants ou des cafés. Des fois, coller un autocollant sur le mauvais côté de la vitrine peut déjà être problématique… alors un frigo ! Et puis on avait à cœur d’être dans un quartier populaire, passant et engagé. Le quartier gare s’y prête ! Ce qui était encore mieux pour nous comme pour Vincent, c’est que l’espace où est posé le frigo appartient à l’hôtel. Il n’a pas eu besoin de louer un espace supplémentaire.
SB : Est-ce que tout le monde peut faire une demande pour installer un Frigo solidaire ?
Séverin : Oui tout à fait ! Au départ, nous voulions créer une association dans le même principe avant même de connaître le concept des Frigos solidaires en France. Notre idée était d’aller chercher les invendus dans les restaurants en fin de service et d’aller les redistribuer aux gens dans le besoin. Mais on s’est rapidement rendu compte que ça demandait une organisation logistique hors de notre portée et un temps humain non négligeable.
Puis on a vu que les Frigos solidaires existaient et on s’est renseigné sur les démarches. Dounia a rendu l’accès à l’information très intuitif et interactif : t’as presque pas besoin de l’appeler ! Tu vas sur le site, tu rentres ton dossier, tu lances ta cagnotte et boum ton projet est lancé ! C’est génial ! D’ailleurs, suite à notre lancement, l’épicerie AGORAé (une association solidaire étudiante strasbourgeoise) a lancé son projet pour ouvrir un deuxième Frigo solidaire à l’Esplanade !



SB : En termes de coût, ça représente quoi ?
Séverin : Globalement, le frigo coûte 1 300 euros, c’est ce qu’on a demandé dans la cagnotte sur HelloAsso. Cette somme couvr l’achat du frigo, le caisson en bois qui protège ce dernier, réalisé par un ébéniste, le transport, l’installation ainsi que l’assurance en cas de soucis de fonctionnement.
SB : Et comment allez-vous faire pour communiquer, d’une part auprès des gens qui pourraient donner des denrées alimentaires, mais également auprès des personnes qui sont dans le besoin ?
Vincent : Le soir de l’inauguration, on savait déjà que la communication serait brève et éphémère, et que ce ne serait pas suffisant pour lancer complètement le projet. On a un réel investissement à faire auprès des habitants du quartier. Ça va se faire petit à petit : lorsqu’on a ouvert, les gens n’osaient pas rentrer dans l’hôtel… Le truc fou, c’est que les gens ne se rendent pas compte de ce que peut être leur rôle. Ils pensent tous que seuls les restaurants peuvent donner à manger alors que pas du tout ! Ils peuvent aussi ramener de quoi remplir le frigo ou le Caddie posé juste à côté !
En ce qui me concerne, quand je passe devant des sans-abris dans le quartier, je leur parle de l’initiative. Il faut qu’il y ait un mouvement collectif de bouche à oreille pour transmettre l’information. On a pour objectif aussi de contacter toutes les associations humanitaires et caritatives du quartier parce qu’elles sont directement en contact avec les premiers intéressés. Elles nous seront d’une immense aide pour relayer l’information !
Séverin : Les membres de l’équipe et moi avons prévu de passer des journées entières devant le frigo pour expliquer aux passants de quoi il s’agit. Il faut faire une réelle sensibilisation au projet et un vrai boulot pour créer le réflexe chez les habitants du quartier.
On va aussi devoir faire un boulot visuel avec des panneaux lumineux et un “mode d’emploi” pour que les passants comprennent rapidement ce que c’est et comment ça marche. Tout ça est en train de se mettre doucement en place, ça va à l’allure des disponibilités des gens aussi parce qu’on fait tous ça en plus de nos études ou boulots respectifs.
SB : Est-ce que tu penses que ça peut apporter une plus-value à l’hôtel ?
Vincent : Tout à fait ! J’ai été contacté récemment, par exemple, par l’association Carillon qui colle des stickers sur les portes des établissements qui offrent des services aux sans-abris, comme aller aux toilettes, boire un café, etc. mais je ne suis pas encore convaincu que c’est une bonne chose. Malheureusement, ça peut mal se passer et nous accueillons ici des clients qui cherchent un certain confort de vie.
Avec le Frigo solidaire, on n’est pas dans cette configuration. L’initiative est en dehors de l’établissement, donc ça ne va pas gêner les clients. Par contre, ça va toucher les Strasbourgeois, autant que les clients. On remarque qu’il y a un réel engagement sociétal de la part des gens depuis quelques années. Ils vont par exemple choisir d’aller boire leur café dans un bar qui a un engagement humain, plutôt que dans le bar branché du coin. Donc clairement, montrer notre volonté d’aider les plus démunis ne peut que confirmer notre bienveillance.
J’ai déjà même pensé à agir pendant les plans d’urgence en mettant à disposition des chambres. Il faut clairement trouver la technique pour faire les choses bien, encore une fois pour pouvoir répondre aux gens dans le besoin et à la clientèle. C’est une aussi une très grande responsabilité, on ne peut pas faire ça à la légère…
SB : Est-ce que vous avez peur d’être vandalisés ?
Vincent : Pour tout vous dire, on nous a déjà volé le cahier rouge dans lequel les gens sont censés inscrire le détail de ce qu’ils ramènent ! En espérant que c’était un étudiant qui était dans le besoin ! On a même prévu un stylo par jour par avance… [Rires.] Mais globalement, on ne craint pas vraiment le vandalisme, on a confiance dans les gens du quartier, on pense qu’ils sont conscients de l’initiative et qu’ils feront attention au Frigo. Et puis quel intérêt auraient-ils à faire ça ? De toute manière, le frigo est à l’extérieur uniquement la journée, on le rentre le soir donc ça devrait aller !
Concrètement, notre vraie crainte aujourd’hui c’est que le frigo ne se remplisse pas ! On espère vraiment que ça va prendre, même si on a conscience qu’il va falloir du temps et que nous allons devoir être patients.
SB : Comment ça marche ?
Pour devenir acteur du Frigo solidaire de Strasbourg, c’est très simple, il suffit de rassembler des denrées alimentaires et de les y déposer en suivant le mode d’emploi. Tous les jours, les denrées apportées sont vérifiées par le staff du Graffalgar dans le but d’être sûr que ce qui est déposé soit comestible et que les informations données dans le cahier sont correctes.
Seuls les restaurants sont autorisés à déposer des plats cuisinés car il faut avoir une sécurité en termes de conservation. Cependant, nous pouvons tous déposer des denrées telles que des végétaux (fruits et légumes), des produits secs (gâteaux, épicerie, etc.), des produits sans date de péremption affichée, ou encore des produits encore emballés avec une date limite de consommation. Exit aussi l’alcool, les produits déjà entamés, les viandes ou encore les poissons.
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