Pierre-André Grasser
Parole de chef
Street Bouche Magazine a voulu donner la parole aux chefs, afin qu’ils racontent leurs histoires, leurs parcours, partagent leurs valeurs et leurs ambitions dans le monde de la cuisine. C’est vers Pierre-André Grasser que nous nous sommes tournés pour cette première Parole de Chef. Il revient avec nous sur sa formation, ses motivations, son expérience entre Alsace et Italie. L’occasion aussi d’aborder avec lui la question des mutations de son métier, et son choix de s’orienter vers la cuisine à domicile.
Entre nature et gastronomie

Après avoir essayé différents parcours professionnels, je me suis rendu compte avoir besoin d’un métier manuel et dynamique, en constante évolution, et dans lequel je puisse m’exprimer. Je suis alors tombé par hasard sur la petite annonce d’un restaurant étoilé, à Rhinau en Alsace, qui recherchait des apprentis. Je me suis dit “Pourquoi pas ?” et sans attendre, j’ai saisi l’occasion. C’est ici que commence mon aventure en cuisine et ma passion pour la nature.
Au fil du temps, au contact du chef et de mon patron ( Jean et Alexis Albrecht ) et tout en suivant ma formation aux entrées froides, j’ai compris que le monde de la cuisine ne se limitait pas à acheter et transformer des produits, mais qu’il était possible d’utiliser ce que nous fournit la nature alsacienne pour composer des plats. La nature a alors pris une place importante dans ma cuisine, et notamment les plantes et herbes.
La cueillette du goût
Les premiers temps, j’ ai appris diverses techniques pour couper et récolter les herbes sans les tuer. C’est dans le potager du restaurant que j’ai découvert les premières herbes comestibles, appelées “Mauvaises herbes !” Pourpier, mouron des oiseaux et chénopode furent les premières herbes que je récoltais; cela permettait au jardin d’ être entretenu sans utiliser de pesticide et d’enrichir les plats. Puis vint le moment de partir en excursion lors des pauses, dans ce magnifique endroit que l’on appelle le Ried, pour partir en quête de nouvelles associations de goûts.
Le Ried est une partie très humide de l’Alsace située en bordure du Rhin. Avant la mise en place de canaux, les crues se déversaient dans les champs avoisinants, y déposant toutes sortes de semences provenant des endroits où le Rhin prend sa source. Ce qui donnait naissance à une flore incroyable ! J’ai découvert toutes sortes d’herbes, fleurs comestibles et baies, toutes avaient un goût particulier, une odeur et une couleur différentes. J’appris aussi à distinguer les toxiques des comestibles afin d’éviter toutes intoxications.
De la même façon que pour les herbes, la viande et le poisson venaient en majorité des pêcheurs et chasseurs locaux. Rien n’arrivait déjà prêt, tout le travail de boucherie et de poissonnerie était à faire (dépeçage, portionnage, etc). Il m’a fallu apprendre les techniques et règles auprès de mes formateurs. Puis, après avoir appris le vrai métier de cuisinier dans ce merveilleux restaurant, j’ai rencontré ma fiancée d’origine italienne avec laquelle j’entrepris de m’installer vers le Lac de Côme en Italie.



Vers le food truck gourmet
À peine arrivé, je trouve un fantastique local sur le point d’ouvrir, local qui cherche un jeune chef. N’ayant encore jamais été chef jusque-là, je décide de prendre le taureau par les cornes et de me lancer pour ma première expérience.
Le local était séparé en deux étages : le restaurant situé au rez-de-chaussée et au premier étage le bar. J’ai donc pensé faire des finger food gourmets en accompagnement des cocktails, sur la base du street food : arancini ( boule de risotto au safran farcie de ragoût de viande, puis frite ), rillettes de viandes avec leurs tartines, crêpes à la bière farcies au jambon de Parme et au Robiola, soupes de tomates jaunes et crevettes de Sicile…
Ce fut une merveilleuse expérience, car cela m’a imposé la recherche de plusieurs nouvelles recettes originales chaque semaine, tout en découvrant un nouveau terroir et sa culture culinaire. Avec le patron de l’établissement,nous avons entrepris une étude afin de créer une ligne de foodtruck gourmet. L’idée était de transporter la cuisine gourmet d’un restaurant à la route, car nous avions la volonté de démontrer que foodtruck ne rime pas nécessairement avec burgers – frites -ketchup – mayo , mais peut devenir une expérience culinaire fine et travaillée à la portée de tous!
“Vous savez, un bon pain fait maison dans lequel on rajoute une herbe hachée finement qui donnera son goût et sa couleur au pain. Une viande cuite à basse température, deux tranches d’oignon rouge et deux feuilles de salade sucrine fraîche, une sauce à la moutarde ancienne et on passe du cliché burger à quelquechose de plus sain et de plus léger, tout en restant dans l’esprit street food !”
Pendant la période de Noël, on trouve à Côme comme à Strasbourg le traditionnel “Marché de Noël” et j’ai eu la possibilité d’y participer en tant que chef et de faire découvrir la cuisine gourmet dans des plats street food. Pour l’occasion, j’avais revisité la recette typique italienne de Noël et du Nouvel An dans un sandwich: pain fait maison farci de lentilles et de cotechino, une charcuterie de Porc. On avait aussi un sandwich, plus dans l’esprit du restaurant gourmet, avec champignons de Paris sautés, blanc de poulet cuit à basse température et croquant de jambon de Parme…



La cuisine basse température
J’ai appris cette méthode de cuisson lors de mon expérience en Alsace. Elle permet de réaliser une cuisson parfaite et uniforme des viandes. Réalisée sous vide, cette méthode permet aussi de conserver la majorité du jus de la viande, contrairement à une cuisson traditionnelle qui a tendance à dessécher la viande. Ce type de cuisson prend du temps, des heures pour certain aliments voire même des jours pour le paleron, une pièce de bœuf située au niveau de l’épaule, mais grâce à ce genre de cuisson, le nerf situé au milieu de cette dernière devient un vrai délice, alors qu’en cuisson classique, il n’est pas mangeable. C’est pour ces raisons que j’aime travailler avec cette méthode et l’intégrer à l’élaboration de mes plats.
Vers la cuisine à domicile
Au Nouvel An dernier, nous avons décidé de nous retrouver entre amis et que je cuisinerai pour nous. Au début, ce devait être un repas simple, mais mon amour pour la cuisine m’a poussé à concevoir un vrai repas gastronomique de sept plats. (menu, habillement des vins avec chaque plat).
J’ai donc réalisé les grosses préparations avant le réveillon ( cuisson à basse température sous vide,fond de cuisson pour les sauces,. etc.)L’avantage de ces préparations et du choix des cuissons était de me laisser la liberté d’expliquer à mes amis, durant la conception des plats, les détails de ma recette, les spécificités des produits, les techniques utilisées. Nous avons donc échangé et discuté pendant que je préparais le repas. Enfin de
soirée,tous mes amis sont venus me féliciter pour le repas, mais surtout me remercier pour le moment partagé avec eux autour de ma passion. Ils ne s’attendaient pas àautant d’explications, de conseils et à assister à la préparation qui leur a donné un aperçu d’un service de cuisinier. Cet échangea créé une atmosphère incroyable entre le chef et les convives,ce qui est impossible en restaurant lorsque je suis cantonné en cuisine.
De nos jours, les cuisines commencent à s’ouvrir aux clients au moyen d’une fenêtre donnant sur la salle ou via des cours de cuisine organisés au sein des restaurants.
Cette soirée était composée des deux facettes, ce qui m’a fait penser, “Pourquoi pas en faire un métier ?” Je m’oriente donc aujourd’hui vers un travail qui saurait associer ma passion pour la nature et celle de la cuisine, tout en étant au contact des gens pour leur expliquer mes choix culinaires, l’origine des produits, les façons de les cuisiner. Je tends à ouvrir les portes de la cuisine gastronomique et à l’orienter vers de nouveaux horizons, avec des influences de street food ou des modes de cuisson méconnus.
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